Niépce correspondance et papiers

N IEPCE XI Depuis plusieurs années, Damilaville, ami de Voltaire, premier commis au bureau des ving- tièmes, fait parvenir au « patriarche de Ferney », franc de port, sous le cachet du contrôleur général, les paquets, lettres, publications qui lui sont adressés par ses innombrables correspondants, et fait cir- culer de même ses réponses et brochures dans toute la France. Voltaire a énoncé ses thèmes préférés dans son Dictionnaire philosophique . Superstition, fana- tisme, erreurs judiciaires, injustice sociale font désormais l’objet d’innombrables pamphlets, devenus son arme favorite. Lancés à tout moment, diffusés clandestinement, ces « libelles », « fusées volantes », « rogatons », « petits pâtés », courent de pays en pays. Daté de 1765, De l’horrible danger de la lecture donne bien le ton. Le libelle est bref, satirique, amusant, exploite l’actualité. Un potentat imaginaire édicte « en son palais de la stupidité » la condamnation et l’anathème de l’imprimerie, notamment parce qu’« il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spé- cieux, mais punissable, d’éclairer les hommes, et de les rendre meilleurs, viennent nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir connaissance ». Plus riches d’idées et parfois plus sérieux, ses Dialogues philosophiques sont de la même veine, antireligieux le plus souvent. Depuis 1762-1763, Voltaire et Rousseau sont au faîte de leur popularité, le premier grâce à sa magnifique conduite dans les affaires Calas et Sirven, le second grâce à l’immense succès qu’ont connu le Contrat social et l’ Emile. Se disputant la célébrité de régner sur les consciences, opposés par leur tempérament et leurs doctrines, ennemis jurés depuis la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, en 1758, tous deux s’accordent à prôner inlassablement une religion naturelle, à nier la révélation et à lutter farouchement contre le clergé. Dans sa profession de foi du vicaire savoyard (Emile), Rousseau a écrit : « C’est avoir une vanité bien folle de s’imaginer que Dieu prenne un si grand intérêt à la forme de l’habit du prêtre, à l’ordre des mots qu’il prononce, aux gestes qu’il fait à l’autel, et à toutes ses génuflexions. Eh ! mon ami, reste de toute ta hauteur, tu seras toujours assez près de la terre » ; et dans sa prière à Dieu (Traité sur la Tolérance) Voltaire lui a fait écho en ces termes : « Fais [...] que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ». Tandis que la cour de Rome autorise un culte nouveau, celui du Sacré-Cœur de Jésus (1765), leur combat en faveur de la liberté de croire à un Etre Suprême, garanti par la raison pour Voltaire, fruit d’une aspi- ration naturelle pour Rousseau, a entamé dans l’opinion publique un bouleversement profond, inégalé. Paru en 1765, l’article Dogmes du Dictionnaire philosophique fournit l’essentiel de la doctrine de Voltaire. Seuls les actes vertueux comptent, non les dogmes et les rites qui varient avec les religions. L’article est écrit à la manière de l’Apocalypse de saint Jean : « Quand tous ces procès furent vidés, j’en- tendis alors promulguer cet arrêt : De par L ’E TERNEL , C RÉATEUR , C ONSERVATEUR , R ÉMUNÉRATEUR , V ENGEUR , P ARDONNEUR , etc., etc., soit notoire à tous les habitants des cent mille millions de milliards de mondes qu’il nous a plu de former, que nous ne jugerons jamais aucun desdits habitants sur leurs idées creuses, mais uniquement sur leurs actions ; car telle est notre justice ». Reconnaissant, tout en la déplorant, la victoire des philosophes, l’avocat général Séguier dira en 1770 : « Leur objet était de faire prendre un autre cours aux esprits sur les institutions civiles et reli- gieuses, et la révolution s’est pour ainsi dire opérée ». Si l’Assemblée générale du Clergé de 1765 condamne in globo les philosophes, sa crainte d’un coup de force depuis la suppression des jésuites l’engage prudemment à réformer les réguliers. Philosophes et économistes s’acharnent contre les moines, surtout contre les contemplatifs, qu’ils

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